Il vient à nous à pas tellement feutrés qu’il colorie le sol. Il n’a pas de mots. Il n’a pas tellement de bouche non plus. Il a seulement un regard qu’il jette sans jamais le récupérer. Il vient de le jetter à nos pieds tel un défi. Voilà ce qui arrive quand le bonheur en vient aux mains. Voilà ce qui arrive quand le bonheur se met au travail.

Vous me connaissez …Enfin, si vous ne me connaissez pas, je ne suis pas quelqu’un de méchant. Vraiment ! Je sais que c’est difficile à croire avec mon regard sévère et mon allure patibulaire, mais je ne suis pas méchant. La preuve, je veux la paix dans le monde et que chacun trouve son bonheur.

Hum … Ça sonnait un peu moins discours de Miss France dans ma tête.

Bon, vous avez l’idée. Alors, quand on m’a parlé de bonheur au travail la première fois, vous n’imaginez pas mon enthousiasme. Rendez-vous compte : le gens vont aller au travail et ils seront heureux. Que demandez de plus ?

Game Over

On arrête de jouer. On passe enfin aux choses sérieuses : le bonheur au travail.

Mais life is a bitch …

En termes un peu moins fleuris, je dirais que :

Les histoires qui ne finissent pas mal, sont des histoires qui ne sont pas encore terminées.

Boom ! Punchline.

Maintenant, je ne crache pas sur les initiatives qui ont été prises pour le bien-être des salariés. Loin de là. Néanmoins, le bien-être ce n’est pas le bonheur. Cela fait maintenant deux ans que j’observe les évolutions du concept et j’en arrive à la conclusion que le bonheur au travail est impossible. Mais alors, qu’est ce que c’est vraiment le bonheur au travail dont on nous rabâche les oreilles comme l’innovation du siècle ?

Nous allons voir que le bonheur au travail est en fait un vaste exercice d’enfumage.

Je commence dur !

Pour réussir cette démonstration, je vais invoquer une définition, une oxymore, Schopenhauer et une question.

Alors oui, je ne vais pas vous détailler les théories managériales et psychologiques de la motivation, de l’engagement …et rappeler leurs applications avec le bonheur au travail. Honnêtement, c’est indigeste comme des moules sans frites. Aussi, je ne vais pas balayer 50 ans de pratiques managériales dites ‘innovantes’ pour montrer que c’est un « éternel recommencement ». Je ne le ferai pas non plus car c’est un « éternel recommencement ».

Je vais juste utiliser une définition, une figure de style, un philosophe et une question pour montrer que le bonheur au travail n’est qu’un concept qui nous enfume. Nous enfume pour quoi ? La réponse dans la conclusion 😉

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Une définition

Je le confesse : je n’ai pas trouvé de définition. J’ai beau eu chercher, fouiller et explorer le web mais je n’ai rien trouvé. Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Peut être à retrouver la comptine dans Malcolm :

Sois gentil, pas méchant, c’est pas gentil d’être méchant, c’est mieux d’être gentil !
Sois aimable, pas grognon, c’est pas gentil d’être grognon !
Sois poli, pas grossier, c’est pas poli d’être grossier, c’est mieux d’être poli !

Saison 1 – Épisode 2

Mais même pas !

Quand je dis rien, je dis vraiment rien. Bien sur, certaines commencent avec la définition du bonheur mais elles s’arrêtent là. Elles ne s’étendent pas du tout au contexte du travail. C’est tout de même le mot qui compte. Du coup, je me retrouve avec un bonheur au travail à la définition limitée quand il n’est pas du tout défini.

La poisse.

Tant pis ! Je vais vous en proposer une. Ce sera la première définition que vous lirez à ce sujet. Alors, ce moment est historique :

Le bonheur au travail rassemble l’ensemble des actions managériales et organisationnelles mises en place par une entreprise pour oeuvrer totalement au bonheur individuel de ses membres.

Voici une définition qui, je pense, traduit plutôt bien ce que veulent entreprendre les promoteurs du concept. Je parle à leur place, ce qui est peut être délicat mais je suis plutôt fier du résultat. En attendant mieux, nous dirons que c’est la définition journalistique du bonheur au travail. Si vous préférez une autre formule : c’est la définition qui fait écrire les journalistes.

Maintenant, si je devais donner une définition davantage organisationnelle et qui collerait davantage à la réalité, je dirais ceci :

Le bonheur au travail rassemble l’ensemble des actions managériales et organisationnelles mises en place par une entreprise pour oeuvrer totalement à la productivité immédiate et à la performance durable de celle-ci.

Cette définition est plus pragmatique puisque la finalité n’est pas la même. Dans la première, ce sont les gens qui comptent et dans la seconde, c’est la compétitivité de l’entreprise. Cette dernière définition a au moins l’avantage de relativiser le concept et de le ranger parmi d’autres techniques managériales. Ce qu’elle est d’ailleurs. En définitive, à un moment donné, il faut choisir entre bonheur et travail. Dans notre cas, le bonheur des salariés n’est qu’un outil supplémentaire pour mieux travailler.

C’est déjà ça, vous allez me dire !

Si je devais appuyer cet argument, je prendrais pour preuve l’insistance de Laurence Vanhée, consultante en cheffe du bonheur au travail, à parler de la rentabilité du concept. Après, les chiffres qu’elle peut avancer sont très largement discutables et discutés. Mais je ne vais pas m’attarder sur ça.

Je vais seulement prendre le top 100 des entreprises les plus rentables en 2015 et noter qu’aucune n’a, à ma connaissance, parlé de démarche de bonheur au travail. Mais peut être que ça vaut seulement dans les entreprises qui ne marchent plus trop et où les gens sont malheureux. Vous savez, celles qui licencient.

Hum … Je fais ma mauvaise langue. J’arrête tout de suite.

En conclusion, la définition du bonheur du travail est avant toute chose, une définition business. Tant mieux, car cela évite l’écueil de la langue de bois.

Enfin, je crois !


 
 
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Une figure de style : l’oxymore

Le bonheur au travail est un oxymore. Je sais que vous avez les yeux qui se plissent avec ce mot qui compte triple au Scrabble. Alors, je vais vous rappeler vos cours de français de 3ième. Ça me fera des révisions par la même occasion.

En rhétorique, un oxymore est une figure de style qui vise à rapprocher deux termes (un nom et un adjectif) que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire, comme par exemple « une obscure clarté ».

Oui, car le travail et le bonheur, ce sont bien des termes qui sont opposés. Le premier dérive bien, sémantiquement parlant, d’un instrument de torture. Nous sommes assez loin de l’idée de bonheur au premier abord. Pas de surprise jusqu’ici.

Ce qui nous intéresse dans le fait que le bonheur au travail soit un oxymore, c’est le fait que cette figure de style soit régulièrement utilisée dans la langue de bois. Cette dernière a trouvé refuge en politique mais aussi dans les entreprises. D’ailleurs, si vous voulez une définition de la langue de bois, Nicolas Galita la définit comme :

Des tournures de phrases pré-établies avec pour objectif d’enfumer.

Vous ne voyez toujours pas de quoi je parle, une petite vidéo sympathique sera peut être plus utile alors :

Vous voyez ?

Sinon, pour vous donner d’autres exemples d’oxymores utilisés dans la langue de bois, je vous citerais bien « tolérance zéro » ou mieux « frappes chirurgicales » ou dans un contexte de bureau d’entreprise, vous avez « projets durables » ou même « recrutement prédictif ».

Petite confidence supplémentaire. Au delà de vouloir enfumer, la raison pour laquelle un tel procédé stylistique est utilisé tient aussi à la neuro-linguistique.

Oui, c’est du sérieux là !

Sans m’étendre sur le sujet, retenez que dans un oxymore, notre cerveau est câblé pour être influencé par le mot positif et donc gommer le mot négatif. En reprenant les exemples précédents, nous sommes plus influencés par « tolérance » que par « zéro » et pareil, avec « chirurgicale » et « frappe ». Avec le bonheur au travail …Vous avez compris la logique.

Ce qu’il faut retenir ici, c’est que le bonheur au travail est un terme qui fait perdre le sens au travail au lieu de lui en donner. La réalité veut que si vous éprouvez du bonheur à votre travail, ce dernier n’en est plus un. C’est en voulant nous faire perdre le contact avec cette réalité que le terme de bonheur au travail existe. C’est dommage que le bonheur soit utilisé à si mauvais escient.
 
 
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Un philosophe : Arthur Schopenhauer

Et si on faisait un peu de philosophie. Ne fuyez donc pas. Ne fuyez donc pas ce qu’on appelle l’amour de la sagesse en grec. Ne tournons pas le dos à cette peinture d’étoiles et de comètes. Nous en avons tous le pinceau mais si peu en recouvrent les parois de leur esprit.

Je suis d’humeur lyrique aujourd’hui ^^

Vraiment, voyons ce que pensent les philosophes de cette notion qu’est le bonheur. Vient donc à moi Arthur Schopenhauer :

Le bonheur positif et parfait est impossible ; il faut seulement s’attendre à un état comparativement moins douloureux.

L’art d’être heureux, 2001, p. 28

Blam !

C’est ce qu’on peut appeler doucher nos espoirs. Le bonheur est impossible ! Comment est-ce possible ? C’est irrémédiable ? Peut être qu’en tournant mon lit vers le sud, ça changera ! On me souffle que NON. Quel monde horrible où le bonheur est impossible. Mais alors, pourquoi continuons nous à nous lever chaque matin ? N’est ce pas là l’aboutissement et l’aspiration essentielle de chacun d’entre nous ?

J’arrête mes conneries. Je ne vais pas moi-même me lancer dans un cheminement philosophique. Et puis, comme me l’a gentiment rappelé un étudiant pragmatique durant un cours que je donnais :

Ce qui me fait me lever chaque matin ? Bin …Mon réveil, m’sieur !

Quelle fraîcheur cette jeunesse tout de même ! 😀

A vrai dire, si le bonheur est considéré comme un objectif impossible en philosophie, cela ne tient pas seulement à la réflexion de Schopenhauer. J’aurai pu citer invariablement Emmanuel Kant, Blaise Pascal, Baruch Spinoza ou même Friedrich Nietzsche.

Désormais que l’on sait que le bonheur est un objectif impossible. Selon vous, que génère la poursuite d’un objectif volontairement impossible en entreprise ?

Je vous donne la réponse : De la frustration, du mal-être et du désengagement. J’en grelotte d’effroi. Faut dire qu’on se trouve un petit peu trop loin de la chaleur des promesses du bonheur au travail. En attendant, comme vous, je suis vraiment déçu de voir que si l’on ampute le premier terme du bonheur au travail, il nous reste alors que le travail. Après, peut être que si on avait proposé à Sisyphe de faire du télétravail, cela aurait changer la face du monde.
 
 

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La question

En fait, cette partie est un peu plus personnelle. Plus personnelle dans la mesure où c’est la première réponse que je donne quand on me questionne sur le bonheur au travail :

Qui serait prêt à abandonner la main sur son bonheur pour le confier à une organisation ?

Vous le remarquez, il m’arrive de répondre à des questions par des questions. 😉

En tout cas, jusqu’à présent, je n’ai pas encore trouver de volontaires pour faire l’expérience. Et pour cause ! Je ne peux m’empêcher de penser que le concept de bonheur au travail veuille finalement créer une totale dépendance des salariés à l’entreprise.

Et bam !

Je me répète mais comme je l’ai dit en incipit, nous ne pouvons qu’être satisfaits des initiatives pour de meilleurs conditions de travail. Néanmoins, avec le bonheur au travail, cela ne va t-il pas trop loin ?

Je suis actuellement en train de rédiger un essai sur l’entreprise-secte ou pourquoi et comment les entreprises veulent-elles devenir des sectes. C’est fort passionnant d’explorer cette question. Après, c’est galère à écrire. Mais ce n’est pas votre problème ^^

Aussi, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle. Placer l’entreprise à un niveau d'un dealer de bonheur ne peut que prétendre vouloir faire des salariés une ressource docile et obéissante. En termes d’entreprises, on parle de fidéliser une main d’oeuvre et d’obtenir son engagement TOTAL. Pourquoi TOTAL ? Vous le saurez quand mon essai paraîtra. 😉

En attendant, je suis redevenu cynique je pense. Je dois surement me tromper. Ce ne peut être le dessein du bonheur au travail. J’exagère peut être.

Oui. Non. Je ne sais plus. C’était quoi déjà la question ?


En conclusion, je dirai que le bonheur au travail vient enfumer des politiques de Qualité de Vie au Travail – pas très fun, j’avoue – ou encore l’Expérience Salarié. Attention tout de même ! Quand je parle d’Expérience Salarié, il faut comprendre tout ce qui participe à donner au salarié une employabilité exceptionnelle. Rien d’autre. Je vais être radical cette fois-ci 😀

Du coup, la transition n’est pas si difficile que cela. Je vous rassure. Si vous avez une politique de QVT ambitieuse, si vous avez une Expérience salarié magique, laissez tomber le bonheur au travail sans regrets, ni même larmes. Tout de même, gardez cette flamme d’avoir cru pourvoir changer les choses car au fond, elle n’y est pour rien la pauvrette.

Nota bene – Sinon, si vous avez une histoire du genre que le bonheur au travail, c’est l’entreprise libérée. Je vous dirais juste que NON. Pourquoi ? Je vous le dirai dans un autre épisode ou bien sur ma page Facebook. 😉